HOYM Karl Heinrich von

Catégorie: Portraits
Année : 1715

 

P.1228

Âge du modèle : 21 ans

Huile sur toile
H. 143 ; L. 111,5 cm
Collection particulière.

Historique :

Paiement inscrit aux livres de comptes en 1715 pour 800 livres (ms. 624, f° 36 v° : « M[onsieu]r le comte de hyom [rajout :] de Saxe ») ; collection Hoym (« n. 311. Le portrait de Son Excellence fait par Rigault en 1718 [sic] & raccomodé pour l'habillement en 1726, peint sur toile, de 4 pieds 6 pouces 1/2 de haut sur 3 pieds six pouces de large. A couté sans sa bordure 800 l. La bordure a couté en 1719 300 l. Total 1100 l. Dans la chambre à coucher de son excellence ») ; Anciennement au château de Lichtenwalde ; Vente Lucerne, Fisher, coll. dr. F. Burgers, 25-26 août 1932, lot. 200 ; Berne, château de Gerzensee, collection de Jürg Stuker (fondateur de la maison de ventes aux enchères Stuker à Berne) ; sa vente Berne, galerie Stuker, 26 octobre 1989, lot 5165 [=duc d’Orléans et suiveur de Rigaud] avec les dimensions H. 158 ; L. 115 cm) ; Lugano, coll. Bruno Scardeoni (antiquaire) ; Zürich, collection privée depuis 1990 ; Zürich, Schuler auktioneer, 19 septembre 2014, lot. 3109.

Bibliographie : 

Sahrer von Sahr, 1869 ; Roman, 1919, p. 175 ; Pichon, 1880, I, p. 181 et II, p. 63-64 (n° 311), p. 77-78 (n° 406-408) ; Eduard Otto Schmidt, Die Schlösser Schönwölkau und Lichtenwalde und die Grafen Vitzthum von Eckstädt. Sonderabdruck aus den Mitteilungen des Landesvereins Sächsischer Heimatschutz, Dresden, Schießgasse 24, Heft 1-3, Band XXII, 1933, p. 29 ; Virginie Spenlé, « Karl Heinrich von Hoym, ambassadeur de Saxe à Paris et amateur d’art, dans Dresde ou le rève des princes, catalogue de l’exposition Dijon, 16 juin – 1er octobre 2001, p. 143-148 [tableau non localisé] ; James-Sarazin, 2003/4, cat. I, n°1026, [tableau non localisé] ; Perreau, 2004, 48, 78, 230 [tableau non localisé] ; Marcheteau de Quincay, 2006, p. 23 ; Perreau, « Hyacinthe Rigaud et le comte de Hoym de Saxe », www.hyacinthe-rigaud.over-blog.com, 18 septembre 2014 ; Perreau, 2013, cat. P.1228, p. 245-246 ; James-Sarazin, 2016, II, cat. P.1293, p. 431.

Œuvres en rapport :

  • 1a. Gravé par Morse d’après Rigaud. Imprimée chez Chalain à Paris. Burin. H. 23,7 ; L. 16,7. Sur le socle de pierre : « CHARLES HENRY / COMTE DE HOYM / Ambassadeur du Roi de Pologne / en France. » Sur le haut du socle, de part et d’autre des armes du comte : « H. Rigaud p. / Morse sc. ».
  • 1b. Gravé par Gustav Planer en 1872, d’après Rigaud. H. 34 ; L. 26. Sur le pourtour de l’ovale : « CH HENRY COMTE DE HOYM MDCXCIV MDCCXXXVI ». Sous le trait carré : « h. Rigaud pinxit – P. Adolp. 1872 – G. Planer, sc. Dresden ». Dresde, Kupferstich-Kabinett, Staatliche Kunstsammlungen. Inv. A 134448, in A 324-2..

Copies et travaux :

  • 1716 : « Dans la chambre au dais. n° 406. une copie du portrait de Son Excellence, de Rigault, faite par un de ses élèves, peint sur toile. A couté en 171[6 - le 7 décembre - livre journal A], 200 l. (Pichon, p. 77).
  • 1726 : « Dans la chambre du sieur Christian. Une autre copie du portrait de Son Excellence par Rigault, faite en 1726 par un de ses élèves [payé le 7 décembre 1726 à La Penaye], peinte sur toile de la même grandeur que le précédent [un portrait du comte de Flemming par Silvestre de 4 pieds 10 pouces de haut sur 3 pieds 11 pouces de large]. A coûté 200 livres ». (Pichon, p. 78).

Descriptif :

« Soyez bien prudem et ne faites pas de bruit ; mais détachez-moi de suite ; mettez-moi au lit ; tirez par dehors le verrou de la porte à l’aide de la ficelle qui y est attachée ; personne ne saura que vous avez été dans la chambre & on croira que je suis mort d’une attaque d’apoplexie. Si vous faites tout cela prudemment & sagement, vous aurez pour récompense mille ducats que ma famille vous paiera sur la présentation de ce papier. »… C’est sur un simple papier tombé au sol près d’une commode de la chambre où il se suicida par pendaison, que l’ancien ambassadeur de Saxe en France, Charles Henry, comte d’Hoym (1694-1736) mit fin à sa voluptueuse vie au service des arts. Après une longue période passée dans l’anonymat, son magnifique portrait, peint par Hyacinthe Rigaud en 1716 s’apprête à être mis en vente ce 19 septembre 2014 (lot 3109) par la maison Schuler de Zürich.

Le modèle, amateur d’art et bibliophile célèbre, n’était pourtant pas inconnu des chercheurs français. Dès 1880, le baron Jérôme Pichon, président de la Société des Bibliophiles, avait publié deux volumes monumentaux consacrés à la biographie et à la correspondance du comte saxon[1]. Ignorant où la toile originale était conservée, il n’avait pu illustrer son propos qu’avec l’une des deux estampes du buste du modèle, réalisées à la fin du XIXe siècle : il opta pour celle d’Auguste Morse. Quant à la gravure de Gustav Planer, de même cadrage, elle avait quant à elle illustré un article d’une belle exposition dijonnaise de 2001[2].

La composition dans son entier était cependant connue par une ancienne photographie en noir et blanc conservée à la documentation des peintures du Louvre[3]. Nous avons pu découvrir que le portrait appartenait au début du siècle, à Jürg Stuker, fondateur de la maison de ventes aux enchères homonyme de Berne. Il le conservait en son château de Gerzensee mais ignorait l’identité du modèle. Il avait néanmoins reconnu dans la pompe de la composition une possible œuvre de Rigaud, la posture évoquant, directement mais avec quelques variantes, certains morceaux célèbres popularisés par l’estampe.

Si Stuker n’avait pas su faire le lien entre son tableau et les gravures de Planer et de Morse, il pensa que le personnage avait suffisamment de « royauté » dans sa pose pour penser qu’il s’agissait, sinon d’un roi de France, du moins un « duc d’Orléans » un peu vague mais satisfaisant. La trop grande perfection du dessin, les contours soulignés de noir de certaines parties anatomiques ainsi que l’aspect glacé des couleurs achevèrent de le convaincre qu’il s’agissait là d’une œuvre d’un suiveur du maître… C’est sous cette identité et cette attribution que la toile fut ainsi cédée à l’antiquaire Bruno Scardeoni de Lugano, lors de la vente organisée après décès de Stuker, le 26 octobre 1989 (lot 5165). Acquis dans les années 90 dans la galerie italienne par l’actuel propriétaire, c’est c’est sous le même vocable qu’elle nous a été proposée à l’expertise. Il appartient aujourd’hui de rendre à ce portrait sa véritable identité et de l’intégrer définitivement au corpus des tableaux originaux de Hyacinthe Rigaud.

La pose

Vu à mi-corps, le buste légèrement tourné vers la gauche de la scène, notre modèle tourne sa tête vers le côté opposé, le regard fixé vers le lointain. Une main posée sur sa hanche gauche, il tend son autre bras vers l’extérieur de la scène, en un geste gracieux à l’instar d’un autre portrait légèrement plus ancien : celui du marquis de Louville[4]. À l’origine, ce bras était destiné à empoigner un bâton de commandement qui prenait appui sur un rocher aux côtés d’un casque. En arrière plan, derrière le bâton militaire, se trouvait généralement un choc guerrier.

La composition reprenait en réalité et en partie, un prototype légèrement plus ancien, inventé par le peintre dès 1693 pour son portrait du commandant danois Christian Gyldenloeve-Danneskjold (1674-1703)[5]. Au prix de légères variantes qui évoluèrent avec le temps, on y retrouve l’essentiel : la posture en oblique du corps devant un rocher sur lequel est posé le bâton de commandement militaire fermement tenu. La main gauche est déjà sur la hanche et le visage tourné vers l’extérieur droit. Quelques années plus tard, en 1698, Rigaud reprendra la posture pour son portrait d’Henry Bentinck, lord Woodstock (1682-1726), fils de l’ambassadeur d’Angleterre en France[6]. La main gauche aura cependant glissé du corps pour se poser sur un casque qui surplombe, non pas un rocher, mais un entablement. L’arrière plan n’est plus un extérieur mais un décor imaginaire de palais à pilastres et rideau. La manière de tenir le bâton est plus délicate, à l’instar de l’effigie du duc de Créquy peinte en 1687. On le voit, Rigaud savait varier de cent manières différentes ses créations.

Mais c’est en 1704 qu’il fixa définitivement l’attitude pour le vainqueur de Denain, le maréchal Claude-Louis-Hector, duc de Villars (1653-1734)[7]. Il la reprendra vers 1708-1710 pour d’effigie du duc d’Antin, fils légitime de Madame de Montespan, maîtresse de Louis XIV. Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin (1665-1736) était alors surintendant des bâtiments, protecteur de l’Académie Royale de peinture et de sculpture[8], et donc un proche de Rigaud. Selon les dires du littérateur Dezallier d’Argenville, l’artiste « employa tout son sçavoir » dans son chef-d’œuvre qui fut commandé en 1709 pour orner la grande salle de l’Académie. Le succès de la pose résonnera jusqu’au crépuscule de la vie de l’artiste lorsqu’il s’agira, en 1740, de fixer les traits du prince de Lichtenstein[9]… Mais qu’ils aient été emplis du désir de magnifier par l’image leur participation récente aux guerres que Louis XIV mena notamment outre Rhin (Villars) où à marquer le souvenir de celles-ci (d’Antin), les clients de Rigaud avaient trouvé dans son catalogue d’attitudes, une quantité de postures toutes interchangeables, malléables et accommodables.

La réputation d’Hyacinthe Rigaud dans la représentation des militaires s’était définitivement assise dans l’esprit collectif lorsqu’il livra, en 1697, une imposante effigie du Grand Dauphin, fils de Louis XIV, lui-même inspirée par les créations plus antérieures d’artistes hollandais (Van Dyck) ou français (Mignard). Le peintre y avait néanmoins apporté une pointe de modernisme et de grandeur qui fit aussitôt sa notoriété. Quelques années plus tôt, Louis XIV, son frère (Philippe I d’Orléans) et son neveu (Philippe II, futur Régent)[10] avaient également opté pour une pose dans laquelle Rigaud puisa quelques éléments récurrents à ses compositions : le bâton, l’armure, la main sur la hanche, l’ouverture de la composition sur la droite du modèle…

Le Modèle

Né le 18 juin 1694, à Dresde, Karl-Heinrich von Hoym était le dernier fils du baron Louis Gebhard, trésorier général de la Saxe électorale et de sa troisième épouse, Anne-Christine d’Haugwitz-Zahren. Très tôt, il fut conseillé par l’une des ses sœurs, mariée au comte de Vitzhum, alors favori du roi de Pologne régnant, Auguste II (1670-1733). Il entreprit un tour d’Allemagne très formateur, et fut élevé par son roi au rang de comte du Saint-Empire dès 1711. Hoym entreprit alors son Grand Tour européen le faisant séjourner à Genève avant d’aborder les côtes anglaises et d’aller s’établir à Londres, chez l’un de ses beaux-frères. Au décès de l’ambassadeur de Saxe en France, Burchard von Suhm (1666-1720), Hoym fut choisi par le premier ministre, le comte Jacob-Heinrich von Flemming (1667-1728), pour représenter le royaume dans la capitale française. C’est en 1715 qu’il arriva à Paris, dans la suite du prince électeur de Saxe, Frédérick Auguste, futur Auguste III, lequel effectuait également son Grand Tour « incognito » sous le nom de Comte de Lusace[11].

C’est probablement en franchissant le seuil de la grande salle du Louvre où ces messieurs de l’Académie Royale avaient leurs assemblées, que le jeune comte de Hoym, alors tout juste arrivé dans la capitale, découvrit l’effet procuré sur le spectateur par le grand portrait de d’Antin. Lui même grand amateur d’art et un bibliophile déjà célèbre, l’ambassadeur s’identifia probablement au duc et c’est tout naturellement qu’il s’adressa à Rigaud, alors considéré comme le « premier peintre de l’Europe pour la ressemblance des hommes et pour une peinture forte et durable »[12]. On sait en quelle estime Hoym portait le portraitiste. Dans une lettre qu’il écrivit de Paris, le 4 mars 1726 au baron Gautier, alors secrétaire du roi de Pologne, l’ambassadeur assurait que Rigaud était « non-feulement un homme des plus illustres dans sa profession, mais aussi très-recommandable par beaucoup d’autres endroits, & surtout infiniment considéré en ce pays-cy & regardé comme un homme distingué par un vray mérite »[13].

La Commande

À l’exemple du futur Auguste III, qui croyait ne point devoir sortir de France sans se faire peindre par Rigaud, « en pied, orné de son manteau électoral, groupé d’un maure habillé à la houssarde qui, lui porte son casque »[14], Hoym commanda son portrait en 1715 contre 800 livres[15], alors que le Villars ne valait que 500 livres . Mentionné sous le numéro 311 de l’inventaire fait après le décès du modèle, le tableau était conservé dans la chambre à coucher de Hoym, en son hôtel parisien de la rue Cassette, au sud de Paris :

« Le portrait de Son Excellence fait par Rigault en 1718 (sic), & raccommodé pour l’habillement en 1726, peint sur toile, de 4 pieds 6 pouces 1/2 de haut sur 3 pieds 6 pouces de large. A coûté fans la bordure 800 1(ivres). La bordure a coûté en 1719….300. Total 1100 l. Dans la chambre à coucher de Son Excellence. »[16]

On sait aussi que le principal aide d’atelier de Rigaud, Charles Sevin de La Penaye (1686-1740)[17], avait participé à la confection. En effet, les livres de comptes de l’artiste notent, en 1717, le paiement rétroactif à La Penaye de 50 livres pour avoir « habillé en grand un seigneur Saxon de la Suite du prince Electoral de Saxe »[18]. La pratique n’était pas nouvelle car on sait que le collaborateur eut l’honneur d’apposer sa signature aux côtés de celle de son maître sur le fameux et spectaculaire portrait original de Bossuet, évêque de Meaux (Paris, musée du Louvre). Mais, la sollicitation de l’aide d’atelier fut sans doute limitée à une ébauche plus ou moins avancée de l’habillement. En effet, question de prestige, Hyacinthe Rigaud se réservait la finition des portraits importants. Il broyait lui-même ses couleurs et les chargeait sur la toile enduite d’une préparation rouge, densifiait les contours d’ébauche, et ne déléguait à personne la confection des mains et du visage, berceau de l’expression.

En 1726, La Penaye intervint une nouvelle fois sur l’œuvre pour rajouter les insignes de l’ordre de l’aigle blanc de Pologne récemment acquis par Hoym. Ceci consista en un cordon bleu supportant une médaille (porté sur l’épaule inverse de l’ordre français du Saint Esprit), ainsi que l’étoile brodée sur le revers du manteau en guise de rappel[19].

Comme l’attestent l’inventaire après décès du modèle, l’État des tableaux du comte de 1727 ainsi que son Livre-Journal de 1725-1728[20], La Penaye, réalisa également deux copies en buste de l’œuvre[21], en 1726 et 1727 et en fut payé 200 livres. L’absence de ces copies dans les livres de comptes de Rigaud n’est pas étonnante, les manuscrits étant, on le sait, lacunaires. À moins que ces dites copies aient été commandées directement à La Penaye par Hoym, sans passer par Rigaud[22].

Épilogue

Doué d’un abord charmant, cultivé, de bonne compagnie, Hoym avait entretenu d’étroites relations avec le tout Paris, celui des femmes notamment. Ses liens d’avec Mesdames de Tencin et de Coligny ou d’avec la présidente Ferrand sont demeurés célèbres par leur galanterie. Il fut également un admirateur du célèbre Fontenelle, dont Rigaud eut également à peindre le portrait. Le jeune comte devint le plus français des Allemands, ce qu’on ne manqua pas de lui reprocher une fois rentré dans sa patrie.

Il fréquenta à Paris de nombreux amis, rencontrés à Genève et à Londres. Lucas Schaub (1690-1758), chargé d’affaires d’Angleterre en France en 1721, fut de ceux-là[23]. Appelant Hoym « mon cher Grand », il l’introduisit dans le cercle intime du cardinal Guillaume Dubois (1656-1723), premier ministre de Louis XV (lui aussi peint par Rigaud en 1723)[24]. Hoym se forgea alors une image de parfait esthète, fin connaisseur d’art et « homme d’esprit avec qui l’on traite volontiers » nous avouera le garde des sceaux Germain-Louis Chauvelin.

Peu après la mort de Dubois, Hoym rentra en Saxe pour ne revenir en France qu’en août 1724, date à laquelle il s’établit en cure à Forges-les-eaux. En 1728, il repartit pour Dresde, espérant y être nommé au poste vacant de ministre des affaires étrangères. Auguste III ne lui donna cependant que le titre de ministre de cabinet et le renvoya en France. Le comte y contracta une petite vérole qui le défigura. Finalement, et à peine guéri, il obtint le ministère de l’Intérieur et quitta définitivement Paris le 3 mars 1729.

En affaires avec le marchand parisien Rodophe Lemaire en tant que directeur général de la manufacture de porcelaine de Meissen[25], le nouveau parlementaire ne tarda pas à être suspecté par le premier ministre et favori d’Auguste III, Heinrich von Brühl (1700-1763). Celui-ci lui reprocha en effet d’avoir fait produire de la porcelaine de Saxe sans la marque de fabrique des deux épées croisées et d’avoir dévoilé le secret du procédé de fabrication[26]. Disgracié, Hoym se retira en 1731 dans son domaine de Skaska, puis à Lichtenwalde, auprès de sa sœur, la comtesse de Vitzthum, et de sa nièce, la duchesse de Watzdorf. Arrêté en 1733, il mit fin à ses jours par pendaison, dans sa cellule de la Forteresse de Koenigstein, le 21 avril 1736.

Malgré son testament, l’héritage de Hyom fut âprement discuté par Auguste III qui souhaita récupérer les formidables collections de son ancien ministre. En 1736, la vente des livres collectionnés par Hyom produisit ainsi 85 000 livres en 59 vacations, « soit 30 000 livres de moins qu’elle n’avoît coûté, & moins encore si l’on tient compte des frais. Elle paroît avoir été fort suivie »[27]. Sa collection de tableaux était tout autant impressionnante, ainsi que le montre le descriptif d’inventaire après décès du modèle publié par Pichon. Le comte connaissait tout du marché parisien et européen, conseillé par Rigaud comme en témoigne cette remarque au sujet d’une Fortune « figure de grandeur naturelle » attribuée à Guido Reni[28] : « Ce tableau vient de feu M. de Monastrol ; il y en a qui le croient de Romanelle, mais il est du Guide, décidé tel par le jugement de M. Forest, de M. Rigault & des meilleurs connoisseurs. A la vérité le tems où il est peint paroît être le dernier tems de ce maître, & où son pinceau, vague & devenu un peu foible, étoit inférieur à celui des deux tableaux précédens. »

C’est en 1716, année où il fit faire son portrait par Rigaud, que Hoym débuta sa collection en faisant notamment l’acquisition de deux Gellée dit Le Lorrain, de Rubens, d’un Carrache, d’un Cortone, de Guido Reni, d’Albani, de Bassano, et d’autres œuvres de Gerrit Dou ou Caspar Netscher… Il estima sans doute assez l’artiste pour feindre de croire qu’il n’avait pas été récompensé de l’ampleur de son travail en peignant Auguste III contre 4000 livres : Il écrivit le 4 mars 1726, au baron Gautier, secrétaire de cabinet du roi de Pologne, que « proportionnellement à ce qu’il a eu d’ailleurs en semblables occasions, […] les autres princes dont il a fait les portraits, […] luy ont donné de plus fortes preuves de leur satisfaction. J’ose dire que fâché des procédés que par de petites intrigues particulières certaines gens ont avec luy, j’ay déjà été tenté quelquefois d’y suppléer moy-même, et je l’aurois fait si je n’avois cru qu’il convenoit d’en laisser le mérite tout entier à celuy qui est si digne de faire toute sorte de bonne actions »[29].

À la mort de Hoym, son portrait fut transporté, à la demande de sa nièce (peut-être même avant 1736 selon le baron Pichon), au château de Lichtenwalde où il demeura durant tout le XIXe siècle avant de regagner l’anonymat…

 


[1] Jérôme Pichon, Vie de Charles-Henry, comte de Hyom, 1694-1736, Paris, Techener, 1880, 2 vol.

[2] Virginie Spenlé, « Karl Heinrich von Hoym, ambassadeur de Saxe à Paris et amateur d’art », dans Dresde ou le rêve des princes, catalogue de l’exposition Dijon, 16 juin – 1er octobre 2001, p. 145, fig. 3.

[3] Voir Stéphan Perreau, Hyacinthe Rigaud le peintre des rois, Montpellier, 2004, p. 78, fig. 60.

[4] Huile sur toile, 1708, H. 141 ; L. 109 cm. Worcester, Art Museum. Inv. 1980.35.

[5] Perreau, 2013, cat. P.345, p. 106.

[6] Ibid., cat. P.461, p. 139.

[7] Perreau, 2013, op. cit, cat. P.835, p. 183.

[8] Ibid. cat. P. 1108, p. 223-224. D’Antin avait été rayé des cadres de l'armée depuis 1707 à la suite de mauvaises manœuvres et ne portait plus l’armure que de manière honorifique.

[9] Ibid. cat. P.1426, p. 299.

[10] Perreau, 2013, op. cit., cat. *P.147, p. 79 (Philippe I), cat. P. 152, p. 80 (Philippe II), cat. *PC.387, p. 111 (Louis XIV).

[11] Anonymat très relatif car toutes les Gazettes européennes ont relaté les étapes du jeune prince. Le marquis de Danjeau, nota dans son Journal, le 31 juillet 1714 : « Le prince électoral de Saxe vient à Paris ; on a nouvelle qu’il a déjà passé Bruxelles, et on lui a loué une maison à Paris » (Journal du marquis de Dangeau publié en entier pour la première fois par MM. Soulié, Dussieux, de Chennevières, Mantz, de Montaiglon ; avec les additions inédites du duc de Saint Simon [publiées par M. Feuillet de Conches], Paris, Firmin-Didot frères, 1858, t. XV, p. 201). On note également à Paris, dans l’atelier de Rigaud et au même moment, le conseiller d’état d’Auguste II, le baron Heinrich Reinhard von Hagen (1656-1729), peint en buste (Perreau, 2013, op. cit., cat. *P.1227, p. 245).

[12] Saint-Simon, Mémoires, III, p. 254.

[13] Pichon, op. cit., II, p. 177.

[14] Abrégé de la Vie de Hyacinthe Rigaud Ecuyer, citoyen noble de la ville de Perpignan, peintre du roi, professeur de son Académie de peinture et de sculpture à Paris, 1716, 1854, II, p. 122. Le tableau est à la Staatlische Kunstsammlungen de Dresde (Gemälde Gal. Alte Meister), Inv. N° 760. Voir Perreau, 2013, op. cit. cat. P.1226, p. 245.

[15] Joseph Roman, Le Livre de raison d’Hyacinthe Rigaud, 1919, p. 175 ; Perreau, 2013, op. cit., cat. P.1228, p. 245-246.

[16] Pichon, II, p. 63-64.

[17] Sur La Penaye, voir Perreau, 2013, op. cit., p. 40-41.

[18] Livres de comptes d’Hyacinthe Rigaud, Paris, bibliothèque de l’Institut de France, ms. 625, f°32 v°. Joseph Roman, dans son édition des livres de comptes avait omis de retranscrire ce travail.

[19] L’ordre de l’aigle blanc était le second ordre de Pologne, renouvelé par Auguste II le 1er novembre 1705, avait été créé au XIVe siècle par Stanislas V. Le ruban, comme celui du Saint Esprit français était bleu mais se portant en bandoulière à l’envers de ce dernier, de l’épaule gauche vers la hanche droite. Il était réservé aux plus hauts dignitaires civils ou militaires. « La croix d’argent était à huit pointes émaillée de gueules, avec quatre flammes de même aux angles ; au centre de cette croix est un aigle couronné d’agent, ayant sur l’estomac une croix environnée des trophées de l’électoral de Saxe » dans Denis Diderot et Jean le Rond d'Alembert, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, tome 1, Paris, éd. 1781, p. 708.

[20] Pichon, op. cit., I, p. 181 & II, p. 63-64 (n° 311 pour l’original), p. 77-78 (n° 406 & 408 pour les copies).

[21] Pichon, op. cit., I. p. 182, II, p. 78.

[22] Le cas était déjà avéré à l’instar des commandes faites le prince de Monaco à La Penaye dans les mêmes années. Voir Perreau, 2013, op. cit., p. 40.

[23] Si certaines gazettes du temps reprochaient à Schaub de ne pas avoir été un grand collectionneur, en n’ayant pas tout à fait les connaissances nécessaires au luxus eruditus du meilleur amateur, on retrouvera dans la collection de Hoym un grand nombre de tableaux aussi bien acquis par Schaub à Madrid, que sur le marché parisien notamment chez Rigaud : son propre portrait daté de 1721 (cf. Perreau, 2013, op. cit., cat. PC1297, p. 263-264), une fameuse Nativité (ibid., cat. P. 126, p. 76), et, du même, une réduction en buste du portrait du cardinal Dubois (ibid., cat. P.1309, p. 267, qui correspond à la mention manuscrite des livres de comptes de l’artiste [ms. 624, f°42, 1723] : « une copie de Mr le Cl Dubois pr. Mr le chevalier Schaub », 300 lt) ainsi que celui de la Comtesse de Platten « habillée à l’allemande » (ibid., cat. *P.1330, p. 271-272).

[24] Perreau, 2013, op. cit., cat. P.1309, p. 267.

[25]Cl. Boltz, Hyom, Lemaire und Meissen, Keramos, n°8, 1980.

[26] Une perquisition à son domicile en apporta la preuve : on découvrit chez lui des lettres et de la pâte de porcelaine blanche.

[27] Ibid., I, p. 179. Hoym avait acquis à Paris plusieurs bibliothèques fameuses pour augmenter la sienne. Ce fut le cas notamment de celle de Charles-Jérôme de Cisternay du Fay (1662-1723), dont nous avons récemment identifié le portrait par Rigaud, jusqu’ici perdu (Perreau, 2013, op. cit., cat. P.1168, p. 233).

[28] Inventaire après décès d’Hoym, n°278, Pichon, II, p. 55. Le tableau avait été acheté par le baron, 1320 livres, avec sa bordure, à la vente après décès de Roland-Pierre Gruyn en 1723.

[29] Ariane James-Sarazin, « Hyacinthe Rigaud, portraitiste et conseiller artistique des princes Electeurs de Saxe et rois de Pologne, Auguste II et Auguste III », dans Dresde ou le rêve des Princes, op. Cit.. pp. 136-142.

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Autoportrait de Hyacinthe Rigaud. Coll. musée d’art Hyacinthe Rigaud / Ville de Perpignan © Pascale Marchesan / Service photo ville de Perpignan