VARICE DE VALLIÈRE Anne

Catégorie: Portraits
Année : 1703

 

P.796

Âge du modèle : 31 ans

Huile sur toile
H. 143 ; L. 108.
Fontenay-le-Comte, château de Terre-Neuve.

Historique :

Paiement inscrit aux livres de comptes en 1703 pour 600 livres (ms. 624, f° 21 : « Mad[am]e Delaravoye ») ; Salon de 1704 (« Madame de La Ravoye ») ; Collection M. du Fonteniou.

Bibliographie :

Hulst/3, p. 183-184 [estampe] ; Guiffrey, 1869, p. 3 [estampe] ; Roman, 1919, p. 101 [loc. inc.], 105, 106, 113, 136 ; Roux, VII, 1951, n° 20, p. 301-302 [estampe] ; Lossky, 1963, p. 53-59 [original] ; Sanguinetti, 2001, p. 50-51 [exemplaire H. Rabeau] ; Sanguinetti, 2002, p. 81 [exemplaire H. Rabeau] ; James-Sarazin, 2003/2, p. 329 [exemplaire H. Rabeau] ; James-Sarazin, 2003/3, p. 210 [exemplaire H. Rabeau] ; Perreau, 2004, p. 173, 174 [original] ; Perreau, 2005, p. 50 [original] ; Levallois-Clavel, 2005, I, p. 98, 161 ; ibid., p. 372, cat. A5 ; Perreau, « Vertumne et Pomone », [en ligne], 21 février 2011, http://hyacinthe-rigaud.over-blog.com [original] ; Sanguinetti, 2011, p.46-49 [original] ; Perreau, 2013, cat. P.796, p. 177-178 [original] ; Brême & Lanoe, 2013, p. 80 [original] ; James-Sarazin, 2016, II, cat. P.833, p. 283-284.

Œuvres en rapport :

  • 1. Gravé en contrepartie par Michel Dossier en 1709, « figure jusqu’aux genoux sous celle de Pomone, groupée avec une autre qui représente Vertumne, mais qui n’est que de simple accompagnement, n’étant pas portrait. L’estampe de la grandeur ordinaire est sans inscription. » H. 57 ; L. 43. Annotation manuscrite sur le bas de la gravure dans l’exemplaire conservé à Paris : « Anne Varice de Vallière, femme de Jean Neyret de la Ravoye, seigneur de Lisle et de Beaurepaire, grand audienceur de France ». Dessous, un catrain de F. Gacon : « Aux doux airs de le Peintre donne / A la vieille de ce tableau, / Je croirois Vertumne et Pomone / Le vray sujet de son pinceau. / Par cette fable avec adresse / Il prouve cette vérité : / Rien ne charme plus la vieillesse / Que la Jeunesse et la Beauté / Gacon ». Sous le trait carré, respectivement à gauche et à droite : « Hyacint. Rigaud pinxit - M. Dossier sculpsit ». Au bas de l’estampe : « A Paris chez Drevet Graveur du Roy rüe St Jacques à l’Annonciation ».
  • 2. Pierre noire d’après Rigaud, v. 1704, H. 19,9 ; L. 15. Loc. inc. (vente Monaco, Sotheby’s, 2 décembre 1988, lot 332 [d’un carnet de 74 dessins ad vivum]).
  • 3. Huile sur toile, suiveur de Rigaud, H. 151 ; L. 125,5. Collection particulière (vente Paris, hôtel Drouot, 9 novembre 1975, lot 83 ; Vente Monaco, Sotheby’s, 21 juin 1987, lots 374-375 ; coll. H. Rabeau ; vente Monaco, Sotheby’s, 17 juin 1989, lot 575 ; vente Paris, hôtel Drouot, Piasa, 26 mars 2010, lot 106) ; vente Paris, Sotheby’s, 4-5 novembre 2015, lot 566 [H. 147 ; L. 118] ; Paris, galerie Gilles Linossier. Nous pensons que cet exemplaire, vendu en pendant du portrait de Madamme Legendre de Villedieu [*PC. 709] était celui de l’ancienne collection Gellinard et décrit ainsi lors d’une vente de tableaux anciens à Drouot (Bellier, Mathey, Prost), salle 6, le 16 novembre 1942 : « lot 18 — La Marquise de Prie. Elle est en robe de satin blanc, decolletée, à traine de velours gris doublee de brocard. Dans un decor de parc royal, la maitresse du Regent semble écouter la prédiction d'une vieille femme qui lui annonce qu’elle sera presque reine. Toile — Haut, 1 m 42 ; Larg, 1m 12. Collection Gellinard, n° 37 du catalogue de la vente. Collection Mazure-Six. »
  • 4. Huile sur toile d’après Rigaud. H. 53,2 ; L. 42 cm, partie supérieure chantournée. Vente Paris, hôtel Drouot (Delvaux), 18 décembre 2009, lot. 260 (invendu). Cette copie, assez grossière, ne semble pas être imputable à l’atelier de l’artiste. Il s’agit d’une faible copie d’après la gravure de Dossier, en contrepartie de l’œuvre originale. 
  • 5. Pierre noire d’après Rigaud, (Monmorency ?), H. 28,7 ; L. 21. Coll. priv. (vente Paris, espace Tajan, 6 novembre 2003, lot 27 [=entourage de Largillierre]).
  • 6. Huile sur toile d'après Rigaud et Dossier par Louis Antoine Sixe (1704-1780). H. 115 ; L. 88 cm. Datée en bas à droite « Peint par / le Chevalier Sixe en 1756 ». Vente Paris, hôtel Drouot, Beaussant-Lefebre, 14 octobre 2022, lot. 50.*

Copies et travaux :

  • 1703 : « Une [copie] de Mad[am]e de Laravoye en grand p[ou]r m[monsieu]r le m[arquis] Brignoly » pour 250 livres (ms. 624, 624, f°22), sans doute celle faite par Leprieur.
  • 1703 : Leprieur exécute une « copie de M[adam]e laravoye » contre 60 livres (ms. 625, f°14 v°).
  • 1703 : Leprieur reçoit 2 livres pour avoir « ébauché une tête de m[adam]e Laravoye » (ms. 625, f°15 v°).
  • 1703 : Leprieur touche 4 livres de « surplus pour les portraits de m[adam]e de la Ravoye & pecoil » (ms. 625, f°16).
  • 1704 : Leprieur reçoit 58 livres pour avoir « habillé de m[adam]e de Laravoye », 12 autres pour « une tete de la même » et 70 pour « une copie de la même en grand » (ms. 625, f°18).
  • 1707 : Monmorency est rétribué 6 livres pour « un dessein de m[adam]e Delaravoye » (ms. 625, f°22 v°).

Descriptif :

Le portrait de Marie-Anne Varice de Vallière (v. 1675-1732), épouse depuis le 14 décembre 1692 de Jean Neyret de la Ravoye, seigneur de Lisses et de Beaurepaire (peint en 1694 par Rigaud), connut une destinée illustre et un succès conséquent. Il prouve que les représentations féminines de Rigaud n’eurent pas à pâtir de celles de son compatriote Largillierre, qui s’en était fait pourtant une spécialité. De plus, l’artiste catalan dépassait ici le simple portrait en historiant son modèle, la travestissant en Pomone conseillée par Vertumne. Ce thème courant en « peinture d’histoire », a particulièrement été à l’honneur durant tout le XVIIIe siècle, évoquant l’art des jardins, l’amour et la jeunesse. Quelques contemporains de l’artiste sacrifièrent également à cette mode tels Jean-Baptiste Oudry[1], Robert Levrac de Tournières[2], Pierre Gobert[3] ou l'artiste le plus proche de Rigaud, et sans doute le plus célèbre dans ce thème, Jean Ranc.

Roman pensait avoir localisé l’œuvre de Rigaud en la situant au musée de Tours, et en la confondant avec celle de Gobert. Pomone, nymphe romaine à la beauté légendaire et divinité des fruits restait désespérément insensible aux élans amoureux de Vertumne, dieu des fruits et des jardins. Celui-ci, possédant le don de changer d’apparence, prit la forme d’une vieille femme pour la séduire et tenter alors de lui ouvrir les yeux sur l’urgence des plaisirs et la fugacité de l’âge ; les deux divinités incarnant, à la fois, l’idée de la fécondité de la terre et du retour des saisons. Vertumne vint alors complimenter Pomone sur les fruits de ses arbres. Il montra un orme enlacé par une vigne, plaida la cause de l'amour et se révéla sous son vrai visage, resplendissant de jeunesse et de santé. Pomone n'y résista pas, et s'éprit de lui. Le récit que fit Ovide des amours de Vertumne et Pomone fut un prétexte aux peintres à la représentation des jardins fleuris et des vergers tout en retraçant l’émotion de l’amour[4].

« Déjà Procas tenait le sceptre sur le mont Palatin. Sous son règne vivait Pomone. Parmi les Hamadryades du Latium, aucune ne fut plus habile dans la culture des jardins, aucune ne connut mieux celui des vergers; et de son art vient le nom qu'elle porte. Elle n'aime ni la chasse dans les forêts, ni la pêche au bord des rivières. Seuls les champs et les arbres, chargés de fruits, peuvent lui plaire. Sa main n'est point armée du javelot : elle porte une faucille recourbée, et tantôt élague des branches inutiles, tantôt émonde des rameaux qui s'étendent trop loin; tantôt insère, dans l'écorce entrouverte, une tige étrangère, et fait porter à un arbre des fruits qui croissent sur un autre. Elle prévient la soif des plantes, et arrose les filaments recourbés d'une racine amie de l'onde : ce sont là ses plaisirs et ses soins. Elle ignore l'amour, mais craignant la rudesse de l'habitant des champs, elle entoure ses jardins de remparts de verdure, et en défend l'entrée aux hommes qu'elle fuit. Que ne tentèrent point, pour conquérir ses charmes, les Satyres, jeunesse folâtre et dansante; les Pans, dont le pin couronne la tête; Silvain, toujours jeune dans ses vieilles années; et le dieu difforme des jardins, qui de sa faux écarte les voleurs ! […] Vertumne, avec plus d'amour, n'était pas plus heureux. Combien de fois, pour chercher les regards de Pomone, il prit l'habit du rude moissonneur, et courba sa tête sous le poids des gerbes ! Combien de fois, couronné de guirlandes de foin, il offrit l'image du faucheur sortant de la prairie ! Souvent, armé d'un aiguillon, il semblait ramener de la charrue des bœufs au pas tardif ; souvent, la serpe en main, on eût dit qu'il venait d'émonder un arbre ou de façonner la vigne. Parfois, chargé d'une échelle, il paraissait aller cueillir des fruits. Tantôt, avec l'épée, c'était un soldat; tantôt, avec la ligne, c'était un pêcheur. C'est ainsi que, cent fois, changeant de forme, il parvenait à voir Pomone, et à contempler les trésors de sa beauté. »

En musique, le thème fut moins courant mais un catalan d’adoption, Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755), reprit à son compte un poème qu’il mit en musique dans son Second livre de Cantates françaises de 1737. Par ce tableau, grand portrait flatteur d’une femme sûre de sa grâce, Rigaud se fait peintre d’histoire et semble suivre à la lettre le récit mytologique.

La toile originale qui n’est pas, comme chacun sait, une « autre version », est donc conservée au Château de Terre-Neuve, à Fontenay-le-Comte en Vendée. Elle était connue au moins depuis 1963, date à laquelle Boris Lossky la publia dans le Bulletin de la société de l’histoire de l’art Français grâce à un article intitulé « Identification du portrait de Mme Neyret de La Ravoye par Hyacinthe Rigaud ». Malgré cette publication peu d'historiens s'étaient référé à l'original, lui préférant la citation d'une autre version, conservée dans la collection Henri Rabeau. Nous avons pu étudier et découvrir le tableau original en compagnie de son actuel propriétaire, il y a une dizaine d'années, et en prendre toute une série de clichés.

Rigaud choisit de représenter Anne Varice de Vallière jusqu’aux genoux, dans une ample robe aux plis et au drapé nerveux, assise sur un rebord de pierre, la main gauche appuyée sur celui-ci, la main droite légèrement cassée vers le bas, un doigt tendu. Près d’elle, une vieille femme semble la prévenir de la fugacité de l’âge, et par sa main droite levée, montre l’arbre d’où tombent quantité de grappes de raisin. Elle tient dans sa main gauche une longue canne de roseau. On admirera, outre l’aspect bienveillant de cette femme âgée, le subtil jeu d’ombre créé sur son visage par le rabat de son bonnet, clin d’œil de Rigaud à l’école hollandaise des Van Dyck[5] et Rembrandt. Le fond du tableau est composé d’une vigne aux grappes de raisins mûrs à souhait, et d’une perspective sur un portique en demi-cercle, sur lequel différents personnages admirent un coucher de soleil stylisé par des rayons ascendants sur le ciel. Peut-être s’agit-il de la représentation des jardins du château de Beaurepaire que Jean Neyret acquiert en 1699 de Monsieur Leclerc de Grandmaison. Auparavant, la seigneurie avait été vendue à la fin du XVIe siècle par Pierre de Gondi, évêque de Paris à Martin Langlois déjà seigneur de Beaurepaire. C’est ce dernier qui y fit construire l’un des plus beaux châteaux de la région agrémentés de jardins dessinés par Le Nôtre. Ce n’est qu’en 1713 que Madame de La Ravoye, veuve, vendra ses terres à Jean Michau de Montaran.

Force est de constater que Dossier, dans sa gravure, a su admirablement rendre la matière picturale de Rigaud. On ne sait comment, mais le cuivre du graveur se retrouva dans la vente après décès de Claude Drevet en 1782[6]. Son auteur aurait-il travaillé sous la conduite de Drevet ?

L’historique de la version de Terre-Neuve n’est pas aisé à retracer ; la famille de Montesquiou n’ayant pas d’autre trace qu’une possession de tradition familiale. Mme de Laravoye eut au moins trois enfants, deux filles et un garçon qui s’unirent aux familles Beaupoil de Saint-Aulaire, marquis de Lanmary, aux Le Ragois de Bretonvilliers, aux Le Coigneux, marquis de Belâbre et aux Aubourg de Boury…

La même année que la confection de l’original, l’atelier fournit une copie de l’effigie de « Mme de Laravoye pour le marquis de Brignoly », laquelle se retrouve, en 1748, dans l’inventaire de la gallerie de Gio. Francesco III Brignole Sale, fils d’Anton Giulio II : « una mezza figura di Circe [Vertumne] con altra donna [Madame de La Ravoye] di Monsieur Rigaud, 30 lire […] altro sopra porta donna vestita da giardiniera [Madame Pecoil] prendendo garofali et uno schiavo moro vestito all’usara qual presenta un canestrino con diversi fiori del pittor Rigaud, 30 lire »[7].

En 2022, le marché de l'art proposait un portrait de femme, dit à tort de Madame de Laravoye, peint en 1754 par Louis Antoine Sixe d'après la gravure de Dossier car dans le même sens [cat. 796-6]. L'artiste réutilisa l'entier décorum ainsi que la posture pour un personnage plus contemporain, comme en atteste le style de sa perruque, témoignant d'un certain succès de l'image créée par Rigaud.

 

Louis Antoine Sixe, portrait de femme en Vertume et Pomone, 1754. Collection particulière © Beaussant Lefebvre

 


[1] Vente Paris, Hôtel Drouot, Ader-Picard-Tajan, 26 juin 1990.

[2] Prague, Rudolphinium.

[3] Musée des Beaux-arts de Tours.

[4] Métamorphoses - XIV, 608-697.

[5] Gênes, Galleria di Palazzo Bianco.

[6] n°275, p. 25.

[7] Gênes, archives historiques de la ville, fonds Brignole-Sale, inventaire publié par Tragliaferro, 1995, p. 346.

 

mises à jour : * 29 septembre 2022

Autoportrait de Hyacinthe Rigaud. Coll. musée d’art Hyacinthe Rigaud / Ville de Perpignan © Pascale Marchesan / Service photo ville de Perpignan