Claude Bailleul

Afin d’épauler Leprieur, Hyacinthe Rigaud fit également appel, et selon toute vraisemblance selon nous, à Claude Bailleul (mort en 1744), que l’on identifiait jusqu’ici (par défaut d’archives) soit comme le graveur et géographe François Baillieul, à l’orthographe pourtant bien distincte dès le XVIIIe siècle[1] soit comme Pierre, également membre de la célèbre Académie de Saint Luc, officiait à Paris à peu près au même moment. On supposa en effet un temps que ce Pierre aurait pu être frère de celui que nous proposons, mais nous pensons désormais qu’il en était peut-être un cousin. Pierre Bailleul, en effet, n’apparaît pas parmi les héritiers présents à l’inventaire de René Bailleul le 30 juin 1740 et était d’ailleurs considéré comme déjà décédé lorsqu’un différend opposa sa veuve, Anne Cousin, au peintre Robert Le Vrac Tournières, lors d’un rapport d’expert passé devant les commissaires du Châtelet de Paris, le 26 octobre 1742[2]

Claude Bailleul vivait avec plusieurs membres de sa famille rue des Petits-Champs, sur la paroisse Saint-Eustache, où habita fréquemment Rigaud, et se trouvait allié aux Coypel dont on sait qu’Antoine et son fils Charles-Antoine étaient des amis fidèles du Catalan[3]Fils de René Bailleul (m. 1740), marchand sellier au quartier Saint-André-des-Arts et de Marie-Anne Gabrielle Mauroy[3], il était présent lors de l'inventaire après décès de son père, certifié véritable le 1er septembre 1740 et lors duquel on dénombra deux œuvres évoquant directement Rigaud (un petit portrait de Louis XIV et une estampe représentant « Mr Secousse »). Cet inventaire avait été demandé par la seconde épouse de René Bailleul, Marie-Anne Gabrielle Mauroy, ainsi que par les enfants survivants du couple : René Bailleul, commissaire ordinaire de l’artillerie, en son nom et comme fondé de la procuration de son frère, Étienne (né en 1698), employé dans les octrois à Valenciennes ; Marie Bailleul, veuve de Jacques Fongières, maître sellier ; Pierre Jollain, maître tapissier à Saint-Germain, représentant son épouse Geneviève Jacqueline Bailleul avec laquelle il était uni depuis 1706 ; Charles René Bailleul, maître menuisier ; Charles François Bailleul, employé dans les ponts et chaussés ; André Michau, maître sellier, marié à Marie Louise Bailleul ; Pierre César Daille Lefevre, maître peintre doreur, représentant son fils mineur René (futur peintre et directeur de l'académie de Saint Luc) qu’il eu de Françoise Bailleul, décédée en 1733.  

On comptait également dans la fratrie Marie-Anne Bailleul (m. 1787), avait épousé Jacques Charles II Hérault (1688-?), fils de Charles-Antoine qui avait travaillé avec Rigaud, et qui s’allia ainsi à son beau-frère dans l’expertise d’œuvres de son oncle et de son cousin, Antoine et Charles-Antoine Coypel[5]On retrouve ainsi Claude Bailleul et Hérault, le 16 décembre 1733, cul-de-sac de la rue de Matignon, occupés à estimer les œuvres d’art laissés par la mort de  Laurent Rondé, secrétaire du roi, garde des pierreries de la couronne. Bailleul fut également, avec son père, témoin au mariage, le 25 juin 1730, de Jean Domergue, maître tailleur et de Catherine Françoise Aubert, sa cousine ainsi qu’à celui de son frère, Charles René, marchand Mercier quincaillier à Paris, qui épouse le 4 mars 1730, Marie Marguerite Lemoyne, fille d’un ancien marchand sellier du quartier Saint Sulpice.

Malgré son intense activité dans l’atelier, de 1701 à 1714, seul le superbe portrait posthume de François de Salignac de La Mothe-Fénelon (1651-1715), signé en bas à droite sur un montant de la table « Bailleul p. 1718 », témoigne des grandes similitudes existant avec les productions de son maître[6].

 

Claude Bailleul, portrait de Fénelon. 1718. Périgueux, musée des Beaux-arts. nv. 72-2  © Collections Ville de Périgueux, Maap. Photo Gautier

 

Spécialisé sous Rigaud dans les répliques de bustes, de cuirasses et autres bras de fauteuils, on retrouve ici dans l’ample soutane de Fénelon recouverte de son aube de dentelle, le talent de Bailleul à sublimer les « habillements », spécialité qui fit sa réputation dans l’atelier. L’œuvre possède tout le décorum nécessaire à la gloire du prélat, de la table au lourd rideau, en passant par les riches tomes reliés des Œuvres de saint Augustin ou le fauteuil que Rigaud n’aurait pas renié. Bailleul peignit sans doute la tête de son modèle avant qu’il ne décède comme en témoigne la gravure de Claude Duflos, destinée à orner le frontispice des Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse de Fénelon dans son édition de 1717. En 1708 et 1708, contre 20 livres à chaque fois, Bailleul s’était déjà essayé à la représentation d’un prince de l’Église en la personne du cardinal de Bouillon [P.991]. L’une des deux réductions en buste qu’il fit, correspond sans doute à celle récemment réapparue [P.991-1], dans laquelle on reconnaît bien la manière de Bailleul de traiter les visages, forçant sur l’aspect viril des chairs.

 


[1] Voir Stéphan Perreau, « Quand Rigaud fait école... un nouveau Bailleul révélé », 2 février 2018, https://hyacinthe-rigaud.over-blog.com/2018/01/quand-rigaud-fait-ecole.html. Sur les Baillieul voir Roux, 1931, I, p. 398 et suivantes. La confusion fut faite dès 1975 dans l’article de Michel Soubeyran, « Un nouveau portrait de Fénelon au musée du Périgord », Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, 1975, vol. 105, p. 203-312.

[2] Renonciation de Charles Bailleul à la succession de son frère François Bailleul, sellier à Paris (Ibid., ET/XV/597a, 28 octobre 1737).

[3] Inventaire après décès de René Bailleul, marchand sellier (Paris, Arch. nat., MC, ET/LXXIII, 30 juin 1740). 

[2] Wildenstein, 1921, col. 30-32, n° 19 & 19 bis. Il y était question d’un portrait « représentant ou devant représenter » l’épouse de Jean Gréban, procureur au châtelet, peint par ledit Pierre Bailleul quelques années auparavant, et que les époux Gréban refusaient de payer pour défaut de ressemblance. Depuis le mois de juin, les commissaires avaient sommé les parties de se réunir, la veuve Bailleul s’en remettant à l’avis de Pierre Nicolas Huilliot (1674-1751), contre celui de Robert Le Vrac Tournières (1667-1752) pour le Châtelet. Alors que le second trouva le portrait « fort défectueux », déclarant sans véritables arguments « qu’il n’était pas possible de définir autrement ses vices et défectuosités particulières puisqu’il n’y a rien de bien dans le dit tableau, étant au contraire absolument mal dessiné et mal peint », le second y trouva « la parfaite réussite dans la ressemblance », la dame de Gréban y étant « parfaitement bien représentée ». Si, pour Tournières, l’avis de Huilliot valait moins que le sien car il n’était « peintre que de feurs », ce dernier argumenta plus précisément sa démonstration en décrivant la création de Pierre Bailleul.

[3] Sur Antoine Copyel voir Garnier, 1989, p. 128, 158. Sur Charles-Antoine Coypel, voir Lefrançois, 1994, p. 186, 207.

[6] Huile sur toile, H. 143,6 ; L. 110,7. Périgueux, musée des Beaux-Arts. Inv. 75-1. Une copie réduite est conservée au musée national du château de Versailles (MV2939) et une autre en pied « adaptée » par Antoine Taisne (1692-1750) en 1733 est conservée musée de Cambrai (huile sur toile, H. 132 ; L. 100 cm. Inv. 22 P).

Autoportrait de Hyacinthe Rigaud. Coll. musée d’art Hyacinthe Rigaud / Ville de Perpignan © Pascale Marchesan / Service photo ville de Perpignan