VOYSIN DE LA NOIRAYE Daniel François

Catégorie: Portraits
Année : 1715

 

*P.1232


Âge du modèle : 61 ans


Huile sur toile

H. 213 ; L. 152 cm
Collection particulière non localisée


Historique :

Paiement inscrit aux livres de comptes en 1715 pour 4000 livres (ms. 624, f° 37 : « M[onsieu]r le chancelier Voisin ») ; ibid., (« M[onsieu]r Voisin, Chan[cel]lier de France »).


Bibliographie :

Rigaud, 1716, p. 121-122 (« habillé avec ses habits de cérémonie. Il est assis sur un fauteuil vis-à-vis le coffre des sceaux du roi ») ; Roman, 1919, p. 175 ; Guiffrey, 1883-1885, IV (1884), p. 60 ; Perreau, 2013, cat. *P.1232, p. 246 [tableau non localisé, sans référence à l'exemplaire de la Schorr Collection] ; James-Sarazin, 2016, II, cat. *P.1297, p. 432 [tableau non localisé, sans référence à l'exemplaire de la Schorr Collection].

Œuvres en rapport : 

1. Hyacinthe Rigaud et atelier. Huile sur toile, H. 188 ; L. 132 cm. Londres, The Schorr Collection, n°320*. Historique : vente Paris, Hôtel Drouot, mars 1992, lot. 8 (illustré). Comme portrait du chancelier d'Aguesseau par Claude Lefebvre ; acquis par Dawid Lewis pour la Schorr Collection. En dépôt au musée des Beaux-arts de Tel Aviv vers 2014 puis au San Antonio museum of art en 2018 (inv. L.2018.29.3). Bibliographie : Christopher Wright, The Schorr Collection : Catalogue of Old Master and Nineteenth-Century Paintings, MGFA Marylebone and General Fine Art, 2014, t. I, p. 212, t. II, p. 213.

Copies et travaux :

  • 1715 : « Une [copie] de M[onsieu]r le Chancelier » pour 100 livres (ms. 624 f°37 v°).
  • 1715 : La Penaye reçoit 48 livres pour « deux bustes de M[onsieu]r le Chancelier » (ms. 625, f° 31).


Descriptif :

 
« En cette même année 1714, M. Voisin, chancelier de France, à l’imitation de tant de seigneurs, a voulu être peint par lui [Rigaud], habillé avec ses habits de cérémonie. Il est assis sur un fauteuil vis-à-vis le coffre des sceaux du roi. Le tableau a sept pieds de hauteur sur cinq de large »[1]

Cet épisode, rapporté par Rigaud dans une autobiographie qu'il destina en 1716 au grand duc Comes III de Médicis, montre l'importance que revêtait pour l'artiste le portrait de Daniel-François Voysin de La Noiraye (1654-1717), Seigneur de Mesnil-Voysin, tout juste devenu chancelier de France, garde des sceaux du roi et nouveau membre du conseil de Régence. L’indication donnée par Rigaud nous donne de précieux renseignements sur l’ambition de la composition (environ H. 213 ; L. 152 cm), dont l’élaboration fut probablement longue puisque le paiement final de 4000 livres ne fut inscrit qu'en douzième position des livres de comptes de l’artiste pour l'année 1715. La somme, assez considérable au regard de la moyenne à cette époque, semblait justifiée par l’originalité de la pose, ce que corrobore l’absence de mention d’« habillement répété » d'après une attitude antérieure. Elle équivalait pour le moins à celle demandée au futur roi Auguste III de Pologne pour son portrait peint la même année mais n'atteignait pas les 8000 livres que la couronne paya pour la première effigie de Louis XV, en pied, avec les vêtements royaux. Créature de Madame de Maintenon, à laquelle il dut son élévation comme secrétaire d’État à la guerre après l’éviction de Chamillart en 1709, Voysin avait débuté sa carrière dans la magistrature. Conseiller au Parlement (1674), maître des requêtes (1683), conseiller d’État de senestre (1694), il s’était fait remarquer comme intendant du Hainaut dès 1688. Un tel portrait donc, fait à l’image des plus grands, en disait long sur sa personnalité que le caustique Saint-Simon ne tarda pas à railler dans ses Mémoires :


« Devenu maître des requêtes sans avoir eu le temps d'apprendre dans les tribunaux, et de là passé promptement à l’intendance, il demeura parfaitement ignorant. D’ailleurs sec, dur, sans politesse ni savoir-vivre, et pleinement gâté comme le sont presque tous les intendants, surtout de ces grandes intendances, il n’en eut pas même le savoir-vivre, mais tout l’orgueil, la hauteur et l’insolence ; [...] farouche et sans aucune société, non pas même devenu conseiller d’État et après ministre ; incapable jusque de faire les honneurs de chez lui ; [...] un homme à peine visible et fâché d’être vu, refrogné, éconduiseur, qui coupait la parole, qui répondait sec et ferme en deux mots, qui tournait le dos à la réplique, ou fermait la bouche aux gens par quelque chose de sec, de décisif et d’impérieux, et dont les lettres dépourvues de toute politesse n’étaient que la réponse laconique, pleine d’autorité, ou l’énoncé court de ce qu’il ordonnait en maître ; et toujours à tout : le roi le veut ainsi » [2]


Au sein de la suite ininterrompue des portraits connus des chanceliers de France, celui de Voysin par Rigaud fut longtemps considéré comme perdu. C’est à Thierry Bajou, alors conservateur au château de Versailles, que l’on doit d’avoir discrètement ré-identifié l’image par une analyse pertinente d'un tableau acquit en 1992 par la Schorr Collection. Cette effigie, qui passait comme celle de d’Aguesseau ou de Louis Boucherat par Claude Lefebvre, figure un homme âgé, vêtu du grand costume de soie noire et rouge caractéristique de sa fonction, boutonné sur le devant de haut en bas. Sur un fond de mur de pilastres, rythmé par une niche ornée d’une statue de la justice et à l’avant d’un muret supportant une colonne ornée d’un lourd rideau, l’homme est assis dans un fauteuil à haut dossier recouvert de velours brun galonné d’or que rejoint le rideau de fond. Il tient dans l’une de ses mains la lettre de provision de sa charge, signée par le roi et frappé du grand sceau, reposant bien en vue sur une table couverte d’un carreau écarlate. Sur le plat, sont également disposés plusieurs ouvrages de marocain, un nécessaire à écrire ainsi que le coffre des sceaux du roi.


En mars 1994, dans une lettre adressée à Doron J. Lurie, conservateur du musée de Tel Aviv où la Schorr Collection proposait de prêter l’œuvre en longue durée, Thierry Bajou, avouait à son homologue : « À l’évidence, il s’agit d’un superbe tableau dont la seule qualité, me semble-t-il, justifierait, à elle seule l’acceptation de la proposition qui vous est faite. Cela dit, le modèle ne peut en aucun cas être identifié avec Louis Boucherat […]. La comparaison avec la gravure de Thomassin qui montre un personnage au visage beaucoup plus rond, est sans appel à cet égard. Je serais davantage enclin à reconnaitre ici l’effigie de Daniel François Voysin (1654-1717), chancelier en 1714. Je n’ai pas cherché de portraits de lui qui auraient pu être réalisés après 1714 toutefois, les portraits antérieurs, la gravure d’après le portrait de Philippe de Champaigne par exemple, trahissent une structure du visage identique et de traits, certes plus jeunes, mais particulièrement proches et comparables […]. [3]


Philippe de Champaigne avait en effet livré un portrait de Voysin, assez jeune encore, gravé par la suite par Nicolas Regnesson (1616-1670). Pierre Mignard avait pris sa suite pour un portrait de la maturité, confiant en 1668 la transposition de son œuvre au burin au franco-flamand Nicolas Pitau (1632-1671). Lorsque le tout nouveau chancelier pousse la porte du Catalan, à l’âge de 61 ans, son visage a donc largement vieilli mais on y reconnait encore bien les mêmes yeux clairs en larges amandes, figurés par Champaigne et Mignard, ces mêmes pommettes saillantes et hautes, cette même lèvre supérieure ténue surplombant l’inférieure plus charnue, cette même fossette au menton et ce même nez légèrement busqué. Plus souriant que dans ses premières effigies, l’homme avait toutefois gardé du siècle précédent une petite barbe mouche qu’arborait également Boucherat et qui fut peut-être l’origine pour certains historiens de la confusion entre les deux prétendants à l’identification du tableau.


Bajou poursuivait en évoquant le nom de Rigaud en tant que créateur de l’image car, selon lui, le style de l’œuvre lui paraissait « s’accorder davantage à une datation voisine de 1715 que des années 1690. Or Rigaud réalise un portrait de Voysin en 1715 et plusieurs copies en buste par la suite. Rien ne s’oppose à mon avis, à ce que l’on soit ici en présence de ce portrait (ou d’une réplique) ». Cette dernière nuance, évoquant tant l'original que la réplique autographe avec participation du maître, revêt selon nous toute son importance. Car si la toile de la Schorr Collection hypnotise par l’éclat de ses couleurs, le brio de son décorum ou la netteté de son dessin, l’aspect très nourri de sa palette tranche avec l'exigence d'extrême fini d'un artiste alors à l’acmé de son art. Les ombres sous le sceau ou sous la main gauche appuyée sur l'accotoir du fauteuil, sont simplement disposées sous les parties qu’elles mettent en relief, sans être fondues avec les zones qu'elles surplombent ou auxquelles elles se juxatposent,  comme à l'ordinaire chez l'artiste. Les mains, enfin, habituellement fines, arachnéennes, aux doigts en fuseau presque sans phalanges terminées par des ongles courts rehaussés d’un trait de lumière[4], sont ici plus mâles, plus veinées, plus viriles.

On comprend alors le trouble ressenti par Bajou et la perspective que la vibrante version Schorr ait pu être une œuvre conjointe du maître et de son atelier, peut-être même inachevée dans l'attente d'une reprise de finition. Avec toutes les réserves en pareil cas, le portrait aurait alors pu idéalement correspondre à l'exemplaire commandé à Rigaud peu de temps avant sa mort par le neveu du modèle, Daniel-Charles Trudaine (1703-1769), conseiller d’État, exécuteur testamentaire de Voysin[5]. Lors de la levée des scellés apposés après le décès de Rigaud, le 18 mars 1744, on avait en effet représenté que le portrait original du chancelier était revenu dans l’atelier, prêté par Marie Voysin (v. 1692-1746), cadette des filles que le chancelier avait eu de son mariage en 1683 avec Charlotte Trudaine (1664-1714)[6], « aux fins d’en faire faire par led. S. Rigaud une coppie pour M. Trudaine, Conseiller d’État, lequel portrait est resté en la possession dud. S. Rigaud jusqu’à sa mort »[7].


Si l’entourage du chancelier avait rapidement souhaité une copie réduite de l’original — sans doute l’un des deux bustes réalisés par Charles Sevin de La Penaye en 1715 — la mort subite du modèle, en février 1717, terrassé par une crise d’apoplexie alors qu’il se trouvait à la table de l’ambassadeur Barberie de Saint-Contest[8], avait mis un terme à la démultiplication de l’image du ministre. Des recherches en cours permettrons sans doute, nous l’espérons, d’apporter des éléments plus concrets sur le statut de la belle toile de la Schorr Collection dont le spectaculaire témoigne des plus belles réalisations de l’artiste.

 



[1] Hyacinthe Rigaud, « Abrégé de la vie de Hyacinthe Rigaud, Ecuyer, citoyen noble de la ville de Perpignan, peintre du roi, professeur de son Académie de peinture et de sculpture à Paris, - 1716 », dans Mémoires Inédits…, II, 1854, p. 121-122.

[2]Saint Simon, Mémoires, Tome 5, chapitre XV, 1709.

[3]Lettre publiée par Christopher Wright dans le catalogue de la Schorr collection (t. I, p. 212). Nous tenons à remercier chaleureusement David Lewis, propriétaire de la Schorr collection de nous avoir spontanément fait parvenir ses catalogues et d'avoir répondu à nos questions sur ses différents Rigaud.

[4]Grâce à des moulages en plâtre d’après nature qui lui servaient invariablement de modèles et qu’il conservait dans une armoire prévue à cet effet.

[5]Voysin avait fait un testament holographe le 12 novembre 1716, déposé le 2 février 1717 pour minute chez le notaire parisien Jean-François Jourdain, lequel réalisa également l’inventaire après décès de son client, le 8 suivant (archives nationales, minutier central, ét. CXII/483/A).

[6] L’aînée, Marie Charlotte (1685-1729) épousa en 1706 Louis Le Goux de La Bretesche (1675-1737), comte de La Rochepot, conseiller d’État ordinaire, « fils unique fort riche et d'un nom tres ancien et tres distingue ans la robe » (selon les termes même de Voysin dans une lettre à Breillet de La Villate le 21 juin 1706). La seconde, Charlotte Vautrude (1692-1723), se maria à Alexis Madeleine Rosalie (1690-1754), duc de Châtillon, gouverneur du Dauphin. La troisième, Marie Madeleine (v. 1790-1722), s’unit au marquis Charles Guillaume de Broglie (1669-1751), Lieutenant-général des armées du roi.

[7] Guiffrey, 1884, p. 60. C’est en tant que veuve du lieutenant général des armées du roi, Louis Thomas du Bois de Givry (1668-1742), marquis de Leuville, que se fit représenter en 1744, lors de la levée des scellés afin de récupérer le portrait original de son père. La présence du portrait chez Rigaud est confirmée par les folios 29 et 30 de l’inventaire après décès de l’artiste.

[8] « La nuit du premier au second février, veille de la Purification, la mort enleva par une attaque d’apoplexie Messire Daniel-François Voysin, seigneur du Plessis la Noiraye, chancelier et garde des sceaux de France, âgé d’environ soixante-deux ans. Il avoit travaillé presque tout ce jour-là avec une application qui lui étoit naturelle. Le soir il se mit à table pour souper, sans s’être plaint d’aucune incommodité, il ne s’en aperçut lui-même qu’entre deux et onze heures, qu’étant encore à Table il voulut porter sa fourchette dans une porcelaine de compotte, & ne pouvant pas étendre la main droite, il voulut y porter la gauche qui n’eut pas plus de force pour s’étendre que l’autre. A peint put-il faire connoitre à ceux qui étoient auprès de lui qu’il se sentoit indisposé, qu’en même tems il perdit connoissance, & ne donna de signes de vie que jusques vers les trois heures après minuit, qu’il rendit l’esprit. » (La Clef du cabinet des princes de l’Europe, janvier 1717, vol. 26, p. 220).

 

mises à jour : * 29 octobre 2021 ; notice :  02 novembre 2021

 

 

 

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Autoportrait de Hyacinthe Rigaud. Coll. musée d’art Hyacinthe Rigaud / Ville de Perpignan © Pascale Marchesan / Service photo ville de Perpignan