LE JUGE Jean, GOUY Élisabeth de, LE JUGE Marguerite Charlotte

Catégorie: Portraits
Année : 1699

 

P.645

Huile sur toile
H. 147 ; L. 114.
Ottawa, Galerie nationale du Canada. Inv. 4310

Sign. : « Hyacinthe Rigaud fT 1699 ».

Historique :

Absent des livres de comptes ; coll. Marguerite-Charlotte Le Juge du Coudray, v. 1744 ; coll. G. Davison, Londres ; vente, Sidmouth, décembre 1930 ; vente Londres, Sotheby’s, 23 janvier 1938, lot 91 ; Londres, gal. Colnaghi ; acq. 1938.

Bibliographie :

Gallenkamp, 1956, p. 84-110 ; cat. Ottawa, 1959, p. 303 ; Gallemkamp, 1960, p. 225-238 ; Laskin, 1970, p. 46-47 ; Boggs, 1971, p. 30-31 ; Colomer, 1973, p. 7; Rosenfeld, 1981, p. 285-288 ; Guiffrey, 1883-1885, IV (1884), p. 45 ; Valaison, 1993, p. 279-288 ; Perreau, 2004, p. 63-69 ; James-Sarazin, 2009/1, n° 63, p. 128, 139 ; James-Sarazin, 2009/2, p. 73 ; Perreau, 2013, cat. P.645 ; James-Sarazin, 2016, II, cat. P.623, p. 213 [avec la date de décès de jean le Juge en 1707].

Œuvres en rapport :

  • 1. Huile sur toile, 1706, H. 146 ; L. 113. Sign. : « Fait par Hyacinthe Rigaud 1706 ». Perpignan, musée Rigaud. Inv. 92-2-1 (vente Paris, hôtel Drouot, Cornette de Saint-Cyr, 8 juillet 1992, lot 38 ; achat 1992).
  • 2. Huile sur toile, suiveur de Rigaud, H. 114 ; L. 144,5. Collection particulière (vente Bruxelles, Venderkindere, 15 novembre 2005, lot 61).

Descriptif :

C’est à Georges Gallenkamp que l'on doit la réidentification de cet emblématique portrait de famille figurant Jean Le Juge (m. 1701-1705), huissier au conseil du roi, d’Élisabeth de Gouy, et de leur fille Marguerite-Charlotte Le Juge. Reconnaître Élisabeth de Gouy n'était pas malaisé. Il existait un portrait d'elle, plus tardif qui, s'il n'était pas connu de Gallenkamp, avait été relayé depuis longtemps par la belle estampe de Georg Wille en 1743[1]. En 1742, Daullé grava également une splendide planche figurant Rigaud en train de peindre son épouse, sans que l’on sache encore si l’œuvre a réellement existé[2]. Le profil de la future Madame Rigaud, accompagnée ici de sa fille, fut repris par Rigaud en guise d’hommage, discrètement ébauché sur la toile reposant sur le chevalet servant de fond à  son autoportrait dit « au cordon noir ».

On pense d'ailleurs que Rigaud connaissait depuis quelques années les Le Juge puisqu’il leur prêta quelques sommes conséquentes. En 1701, Jean le Juge se trouvait à Dieppe, dans l’hostellerie de la rue de la Barre, « à l’enseigne du roi d’Angleterre », et y rédigea une procuration afin que son épouse puisse s’obliger envers Rigaud d’une dette estimée à plus de… 10 000 livres. Il mourut peu avant 1706, séparé quant aux biens d’Élisabeth de Gouy, cette dernière ayant obtenu par voie de justice une séparation de bien depuis 1694 et baillant en son nom un domaine à Vaux que Rigaud avait acheté dès le 30 mai 1707.

Ce n’est que le 19 mai 1710 que Rigaud épousera Élisabeth de Gouy, alors qu’elle était veuve de Jean Le Juge, depuis au moins 1706. En 1703, une première union entre Rigaud et Marie-Catherine Chastillon avait été envisagée mais très rapidement annulée, quelques mois plus tard. Pour expliquer cette chronologie, Gallenkamp, sans doute emporté par son enthousiasme, laissa entendre que la petite Marguerite-Charlotte aurait été la fille naturelle de Rigaud ce qui, à ses yeux, justifiait le legs prévu par le catalan à la jeune fille et mentionné dans le codicille du 17 juin 1742. Il appuie d’ailleurs sa thèse en analysant l’importance de la représentation donnée par Rigaud à l’enfant dans le portrait d’Ottawa, comme s’il s’agissait de la preuve tangible des liens secrets existant entre le peintre et Élisabeth de Gouy. Pour lui, le regard perdu dans le lointain de Mme Le Juge, évitant celui de son époux qui semble d’ailleurs presque étranger à la scène, constituerait une allusion subtile au caractère équivoque du mariage…

Nous pensons, pour notre part, que cette hypothèse reste bien trop hasardeuse pour être retenue. Le fait que Rigaud choisisse de réunir en une tendre accolade l’effigie d’Élisabeth de Gouy et celle de sa fille, par opposition au bloc constitué par le buste de Jean Le Juge, procède en réalité d’un simple désir de l’auteur de réaliser un équilibre pyramidal et décroissant au sein de sa composition, de la gauche vers la droite. Le fait que Rigaud ait, par la suite, fait figurer l’esquisse du groupe de droite sur certains de ses autoportraits de 1727, ne prouve pas qu’il ait déjà eu à l’esprit dès 1699 ce réemploi. D’autre part, la présence du chien au premier plan, symbolisant selon Gallenkamp tous les paradoxes de la vie des personnages représentés, peut tout autant signifier l’amour, la fidélité, le désir, la mélancolie et la patience, selon la réthorique de l’époque. Quant au perroquet, attribut traditionnel de Mercure, s’il peut illustrer la chance et la fortune, il semble hasardeux d’y voir l’évocation de l’espoir du peintre d’être un jour réuni à celle qu’il aime secrètement[3]. Il s’agissait plus probablement de ces jouets donnés aux enfants, éléments récurrents des portraits de femmes et d’enfants au XVIIIe siècle. Gallenkamp et Rosenfeld ont, à juste titre, fait des parallèles intéressants entre ce portrait de groupe et ceux de l’école hollandaise de Theodore Netcscher, Nicolas Maes et par extension Nicolas de Largillière[4].

Bien que Rigaud ait placé à l’arrière-plan, une niche à pilastres doriques, semblable à celle du portrait de Marie de l’Aubespine que Largillierre exposait au Salon de 1699[5], la palette utilisée par le catalan (brun, violet sombre et gris clair) est beaucoup plus froide que celle de Largillierre. Les coloris de Rigaud confèrent à ses portraits un caractère plus hiératique et plus intellectuel que n’en présentent ceux de son confrère.

La seconde version acquise par le musée Rigaud de Perpignan, de grande qualité, semble parfaitement autographe. Elle est d’ailleurs signée en bas à droite à même la toile, preuve de l’importance que l’artiste a donné à cette réplique. On peut alors se demander la raison pour laquelle Rigaud l’exécuta, alors que Jean Le Juge était déjà décédé, Elisabeth de Gouy ayant obtenu par voie de justice une séparation de bien depuis 1694 et baillant en son nom un domaine à Vaux que Rigaud avait acheté dès le 30 mai 1707. Chose assez rare, on voit encore très nettement sur l’œuvre les traits noirs de l’esquisse destinés à fixer les contours des personnages et qui transparaissent à travers la matière picturale, sur le dos du chien au premier plan ou dans la perruque de Le Juge. On signalera une autre version de cette composition, adaptée avec d'autres visages, passée en vente à Bruxelles le 15 novembre 2005 chez Venderkindere (Huile sur toile, H. 114 ; L. 144,5), lot. 61, repr. p. 43 du catalogue.

 


[1] Gallenkamp, p. 238, pl. 32d.

[2] Gallenkamp, p. 238, pl. 32c.

[3] Tervarent, II, 1959, p. 303 et 269.

[4] Gallenkamp, 1960, p. 231 ; Cat. Montréal, 1961-62, fig. 59b, p. 287, repr.

[5] Cat. Montréal, 1961-62, fig. III, p. 101. gr. repr.

 

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Autoportrait de Hyacinthe Rigaud. Coll. musée d’art Hyacinthe Rigaud / Ville de Perpignan © Pascale Marchesan / Service photo ville de Perpignan